jeudi 19 décembre 2013
La nouvelle vie d’Edouard Martin.
La grande et
belle gueule des métallos de Florange sera donc bien tête de liste du PS pour
le « grand Est » aux élections européennes de l’an prochain. Cela lui
vaut aussitôt une avalanche de reproches, voire de procès en trahison du
prolétariat, qui étouffent largement les
quelques déclarations de soutien qui émergent du magma médiatique. Je ne sais
pas ce qui se passe en ce moment dans la tête et le cœur d’Edouard Martin, et
je me garderais de le lyncher avant de l’avoir vu à l’œuvre. D’un point de vue
purement cynique, je dirais qu’il a droit comme tout le monde à son plan de
reconversion, mais son cas est intéressant et mérite un peu plus d’analyse. Se
amis disent que sa démarche n’a rien d’un renoncement, et que l’on ne peut pas
d’un côté déplorer le peu d’ouvriers présents sur les bancs de nos élus, y
compris de gauche, et de l’autre flinguer tous ceux d’entre eux qui osent se
lancer dans l’arène politique.
Ils ont raison,
mais il n’y a malheureusement qu’à Hollywood, façon Capra dans M. Smith au sénat, que l’on voit un élu
issu du bon peuple garder sa fraîcheur morale face aux requins de l’aquarium
politicien. Dans les faits, les choses se passent généralement ainsi : dès
qu’un leader charismatique et médiatique émerge hors de l’élevage traditionnel
de nos élites politiques (SciencesPo-HEC-ENA), le système peut soit le
flinguer, soit le récupérer en lui faisant une place…en général, celle-ci est
suffisamment bonne pour que le péquenot rebelle du début, ravi de manger chaud
et de vivre au large, s’assagisse rapidement et renonce peu à peu à ses beaux
rêves d’antan. Le parlement européen est ainsi une excellente chambre de
recyclage et d’anesthésie politique. Prenez José Bové : depuis qu’il y est
entré, on ne l’entend quasiment plus, sinon pour dire du bien des directives de
Bruxelles.
Su tu résistes
au traitement, Edouard, tu seras un héros !
Salauds
de salariés !
Grâce à Nicolas
Barré (sur Europe 1) et à ses collègues porte-flingues du libéralisme
décomplexé, on connaît la raison du chômage en France : les salaires y
sont trop haut, à cause de ces salopards de salariés qui ne veulent pas voir
trop baisser leur pouvoir d’achat, et de ces patrons trop gentils qui veulent
éviter les conflits sociaux. Il est émouvant de voir tous ces chroniqueurs
pleins aux as pleurer ainsi sur les chômeurs victimes d’un manque évident de
solidarité nationale. « Regardez nos voisins : leurs salaires ont
baissé (pas mal), et le chômage aussi (un peu). Et si on créait un SMIC spécial
pour les jeunes ? Et si on on supprimait le SMIC, d’ailleurs ? Cela
nous rendrait plus compétitifs que les Allemands qui s’apprêtent à en établir
un.» Ces grands modernistes vont nous refaire le CIP de Balladur ! C’est
dans les vieux pots que l’on fait de vieilles soupes, qui fleurent bon la
régression sociale.
Décrochage
scolaire : la faute à l’école, vraiment ?
La lutte contre
le décrochage scolaire est une priorité affichée des ministres de l’éducation
nationale depuis pas mal d’années. Parce que cela fait vilain dans les enquêtes
de l’OCDE, parce que les décrocheurs vont gonfler les statistiques du chômage
et de la délinquance, etc…
Jusqu’ici, la
mode était plutôt, de la part des pédagogistes libéralo-libertaires et des
associations de parents donneurs de leçons telles que la FCPE, d’incriminer le
système éducatif français, odieusement sélectif, oppressif, incapable de s’adapter
aux jeunes d’aujourd’hui. Or, que nous révèle une enquête récemment publiée (et
lue dans le dernier Marianne) ?
Que sur 200 000 décrocheurs, au moins 46% le sont pour des motifs qui n’ont
rien à voir avec l’école elle-même (santé, problèmes familiaux, etc…). 38% prennent
le large parce que leur vœu d’orientation en fin de seconde n’a pas été accepté :
ou pris autrement, parce qu’ils ont refusé ce qui leur a été proposé. En clair,
on ne les met pas dehors, mais l’on ne peut pas leur offrir tout ce qu’ils
veulent. Quel scandale !
De fait, il y a
effectivement des problèmes d’orientation : les lycées professionnels les
plus demandés sélectionnent leurs élèves à l’entrée en seconde (ils ne peuvent
pas faire autrement, faute de moyens), ce qui a pour résultats d’envoyer des
élèves peu doués pour les études classiques en seconde générale où ils s’ennuient,
échouent, font les imbéciles ou décrochent. Sans oublier la pression de
certains parents, qui poussent leurs mômes sur la voie d’études « prestigieuses »
alors que les gosses n’en n’ont ni l’envie, ni les capacités. Bien sûr, ni le
cher petit ni ses géniteurs n’en sont responsables : c’est au «
système éducatif » de trouver le truc qui fera réussir tout un chacun
dans tous les domaines, si possible sans trop se fouler.
Mais le magicien
d’Oz ne crèche pas plus rue de Grenelle que le Père Noël au pôle Nord. Demander
à un mammouth de danser en tutu et ballerines, c’est également irréaliste.
Pourtant on
essaye ! La preuve par un cas concret, que nous appellerons X, survenu
récemment dans mon lycée. Précisions : X n’est pas « issu de l’immigration »,
ses parents divorcés sont respectivement prof (père) et secrétaire (mère).
X passe en seconde
générale avec un médiocre dossier de collège. Il rame, s’ennuie, s’agite,
redouble malgré des propositions de réorientation vers la voie professionnelle.
Le but des parents : X doit entrer en filière scientifique. Le souhait de
X : ne sait pas trop, mais aimerait bien être sapeur-pompier. X refait
donc une seconde, pas beaucoup plus brillante que la première, et passe en 1ere
S avec l’indulgence lassée d’un conseil de classe qui sait que son autorité n’est
plus que symbolique. X découvre vite qu’il n’y arrivera pas, plafonne à 7/20 de
moyenne, envisage de tout lâcher. Les parents s’affolent, l’administration s’inquiète,
la prof principale se démène. X accepte de finir l’année au chaud, et de
préparer une réorientation pour l’an prochain. On lui concocte même un stage d’observation
dans un lycée technique, pour qu’il se fasse une idée concrète de ce qui l’attend.
Le jour du stage, X ne se présente pas, et affirme à sa mère qu’il n’a pas
réussi à trouver le lycée en question ! L’administration du lycée d’origine
et la prof principale s’arrachent les cheveux, et revoient en esprit les
reproches adressées lors du précédent conseil de classe par une déléguée de
parents FCPE :
« Que
faites-vous vraiment pour les élèves en difficulté ? »
Ce qu’on peut,
madame, avec ce qu’on a.
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