samedi 10 août 2013
Argo : Histoire, trous de
mémoire et sous-entendus politiques.
J’attendais avec
impatience de voir Argo, de et avec
Ben Affleck, sorti en salle l’an dernier. C’est chose faite depuis hier soir
par la magie du DVD. D’un point de vue cinématographique, rien à dire. Ben
Affleck a fait bien du chemin depuis ses débuts de « beau mec »
insupportable dans des navets grand public genre Armageddon : réalisation impeccable, reconstitution historique
bluffante, bons acteurs…Les critiques avaient raison de saluer ce film , dont le principal exploit est de nous faire douter jusqu’au bout
de la réussite de cet incroyable plan d’exfiltration des six rescapés de la
prise d’otages de l’ambassade américaine de Téhéran, ayant trouvé refuge dans
celle du Canada, en 1979-80.
L’amateur d’Histoire
que je suis a néanmoins tiqué sur quelques détails, concernant les « notices »
ou précisions contextuelles encadrant le film au début et à la fin. Destinées à
éclairer les spectateurs peu au fait de l’histoire iranienne, celles-ci
comportent quelques fâcheuses distorsions ou omissions pure et simple :
-le règne du
Shah Reza Pahlavi est caricaturé à outrance : un régime sanguinaire et
vaguement modernisateur, soutenu à bout de bras et jusqu’au bout par les
Etats-Unis qui ont fini par le recueillir. La réalité est beaucoup plus
complexe, comme en atteste la récente biographie d’Yves Bomati et Houchang
Navahandi ( Mohamed Reza Pahlavi, le
dernier Shah d’Iran, Perrin, 2013). De fait, les Ricains ont plus ou moins « lâché »
leur protégé, de moins en moins docile à leur égard, et ont fini par refiler l’importun
à leur allié égyptien Moubarak après l’avoir hébergé quelque temps.
-les
véritables causes de la prise d’otages de Téhéran : loin de se réduire
à un mouvement de foule spontané réclamant que les States livrent leur ancien
allié à la « justice du peuple iranien », cette opération fut
planifiée par les Pasdarans (« gardiens de la révolution ») dans un
autre but plus bassement matérialiste, à savoir le déblocage des capitaux
iraniens, « gelés » dans les banques américaines à l’occasion de la
révolution islamique.
-ce qui a
permis la libération finale des otages : rien n’est précisé là-dessus,
et pour cause, puisque ceci est directement lié à l’omission précédente. Le gouvernement
iranien ayant obtenu le dégel et le rapatriement des fonds, les prisonniers
furent relâchés, mais uniquement après la passation de pouvoir de Carter à
Reagan. Jimmy Cacahuète –interviewé à la fin du film en voix « off » pour ne pas dire grand chose-
a été humilié jusqu’au bout.
-l’opération
commando destinée à libérer les otages : confiée, entre
autres, à la fameuse « Delta Force », cette opération est brièvement
évoquée dans le film (mais pour l'oublier aussitôt), et fut tentée peu après l’exfiltration des six réfugiés
de l’ambassade du Canada, en 1980. Ce fut un fiasco lamentable, mais qui aurait
peut-être pu réussir avec une meilleure organisation. (Voir à ce sujet Delta Force, pas le film avec Chuck
Norris –quoique.. il est assez drôle !- mais le livre d’Eric L.
Haney, paru chez Albin Michel en 2003). Cet échec cuisant a obligé l’administration
Carter à baisser pantalon, en lâchant le fric et expédiant le Shah en Egypte.
Pourquoi tous ces « trous
de mémoire » ? Simple désir de simplification ? Ou autre chose ?
De fait, cette présentation orientée du contexte historique permet de redorer
le blason des Etats-Unis, passablement terni depuis leurs échecs afghan et
irakien, leur incapacité à faire plier l’Iran, à faire tomber Bachar El Assad, ou
leur faiblesse envers certains de leurs alliés,
comme Israël ou la Turquie. Cette impuissance relative sur la scène moyen-orientale
est ainsi compensée par une revanche en studio : « Vous voyez qu’on
est pas si nuls et pas si bêtes ! » En ce sens, Argo a la même fonction de catharsis que Rambo et autres Portés
disparus, en leur temps de traumatisme post-vietnamien. Signe des temps, le
héros américain moderne n’est plus un « gros bras » bas du front
façon Stallone ou Norris, mais un « beau mec » qui en a dans le
ciboulot. Belle illustration cinématographique de la transition géopolitique
des Etats-Unis en ce début du XXIe siècle, où Washington semble moins miser sur
le « hard » que sur le « soft power ».
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