vendredi 15 août 2008

TIF et TONDU : un monument de la BD franco-belge


Introduction : deux vieux amis…




Le premier album de « Tif et Tondu » qui me tomba entre les mains fut, je crois, Le retour de Choc (n°5), perdu par la suite. Ce fut un véritable coup de foudre, et je n’eus de cesse, au fil des années, d’accroître ma collection. Le plus étrange est que j’eus un mal de chien à retrouver Le retour de Choc, que je ne redécouvris que fort tardivement pour réaliser, non sans surprise, que je me souvenais très bien d’un récit lu une seule fois, à l’âge de six ans ! Il est vraiment des lectures marquantes, et je dois celle-ci à ces deux vieux amis de ma jeunesse.


Tif et Tondu font partie des grands classiques de la BD franco-belge. Tif apparaît le premier, dès le premier numéro du journal de Spirou, le 21 avril 1938. Tondu le rejoindra dès la cinquième planche de ses aventures, pour un long compagnonnage qui prendra définitivement fin en 1997, avec la disparition de la série.


Sur ces presque soixante années d’existence, la saga de Tif et Tondu aura connu pas mal de vicissitudes et d’auteurs différents. Des origines à 1949, c’est Fernand Dineur qui dessine et scénarise ses héros, dans une succession d’histoires invraisemblables et décousues, proches des pantalonnades des Pieds-Nickelés. A partir de 1949, Will (Willy Maltaite, né à Anthée le 30 octobre 1927, décédé le 18 février 2000 à La Hulpe, en Belgique) se chargera du dessin, et ce jusqu’en 1991. Il y eut néanmoins une courte période d’interruption, de 1962 à 1964, durant laquelle Marcel Denis animera les deux héros pour des péripéties ne figurant pas dans la collection éditée par Dupuis. Will, ayant repris le collier, travaillera successivement, pour le scénario, avec Fernand Dineur (jusqu’en 1952), Luc Bermar et Albert Despreschins, alias Ben (de 1952 à 1954) puis Maurice Rosy (jusqu’en 1968), Maurice Tilleux (jusqu’à la mort de celui-ci, en 1978), et enfin Stephen Desberg, qui abandonnera la série en même temps que lui. Tif et Tondu sont repris en 1993 par Alain Sikorski (pour le dessin) et Denis Lapière (scénariste), sans grand succès, dans quelques exploits de baroudeurs pas très originaux. Le souffle et les lecteurs n’y étant plus, les éditions Dupuis mettent fin à l’épopée en février 1997.


Nous nous intéresserons ici à l’analyse des aventures des deux héros parues en albums chez Dupuis, dans la collection « Tif et Tondu » proprement dite, du numéro 1 (La Villa sans souci, réalisée en 1951-1952, publiée en album en 1985) au numéro 38 (La tentation du bien, éditée en 1989). Pourquoi s’arrêter là, alors que la série se poursuit jusqu’au numéro 45 (le mystère de la chambre 43) ?


J’avais dès le départ l’intention de me pencher sur la seule œuvre de Will (assisté par son fils Eric Maltaite dans les derniers albums), qui a vraiment « porté » le fameux duo pendant ses meilleures années. Sans vouloir vexer personne, ce qui précède et suit la « période Will » n’a pas grand intérêt. Tif et Tondu sont nés et sont morts avec lui. C’est aussi par respect pour l’auteur que j’ai préféré conclure cette étude par l’histoire qui la terminait en beauté, la seule parue en 88 planches et deux albums (les n°37 et 38), et non par l’inutile sursaut de Coups durs (n°39), où Will et Desberg rempilent péniblement avant de passer la main.


NB : par une bizarrerie inexplicable, l’album Choc au Louvre (1964) a été publié en album en 1966 sous le numéro 9 de la série, passant ainsi après La Villa du Long Cri (n°8), réalisé pourtant après lui, comme en attestent les propos de Choc ou les notules des épisodes suivants. Le lecteur avisé intervertira donc les numéros 8 et 9 pour une bonne compréhension de la série.


Tif et Tondu, vrais ou anti héros ?


Les deux font la paire.


Tif est aussi chauve et glabre que Tondu est chevelu et barbu, mais les deux personnages partagent au demeurant le même physique : bouille ronde, gabarit trapu, avec une bedaine assez proéminente au début de leurs aventures, qui va les ranger pour quelques temps dans la catégorie « petits gros ». Par la suite, leur morphologie va quelque peu se modifier à leur avantage : ils gagnent en taille, et le bide disparaît plus ou moins. Pour ce qui est de la tenue vestimentaire, Tif et Tondu porteront souvent les mêmes habits, comme pour renforcer leur gémellité symbolique, et ne divergeront dans ce domaine qu’à partir du numéro 11 (La poupée ridicule) Mais à l’instar de bien d’autres binômes d’aventuriers, ce qui distingue nos deux héros est à chercher au niveau du caractère.


Tif est plutôt fantasque, brouillon, gourmand, fainéant, dragueur (sur le tard) et souvent ridicule. Ancien capitaine de la marine marchande, Tondu est le « raisonnable » de service, volontiers caustique envers son ami, mais indéfectiblement loyal et honnête. Plus posé, il partage néanmoins avec Tif le goût de l’aventure, de la bagarre et de la défense du bon droit. La bonne chère et le confort ne sont pas non plus pour lui déplaire.


Après leur rencontre sur une île déserte (où le barbu a précédé le chauve après le naufrage de son navire, le Marius), les deux hommes ne se quittent plus, et partagent la même chambre, quelque soit la taille de leur logement…ce qui ne préjuge en rien de leur orientation sexuelle, comme on le verra plus loin.


Des débuts assez lamentables.


Pendant longtemps, la collection « Tif et Tondu » éditée par Dupuis commençait invariablement au numéro 4 (Tif et Tondu contre la Main blanche), laissant planer le mystère sur leurs précédentes aventures –du moins pour les jeunes aficionados dont j’étais. Qu’avaient-ils fait de si honteux pour que leurs premiers exploits soient ainsi remisés dans la catégorie « péchés de jeunesse » ?


A partir de 1985, une partie « montrable » de ces temps héroïques fut enfin publiée en trois albums (sans remonter pour autant aux tout premiers pas), et l’aficionado le plus indulgent comprend alors le pourquoi d’une telle pudeur : c’était assez minable !


Sous la plume encore maladroite de Will, suivant les idées limitées de Dineur (n°1), Bermar (n°2) et Ben (n°3), Tif et Tondu mettent en échec des trafiquants de gnôle (La Villa sans souci), courent après un improbable Trésor d’Alaric ou découvrent le grotesque secret d’Oscar et ses mystères. Fauchés, maladroits, en quête de petits boulots ou d’occasions illusoires de faire fortune, nos « héros » affrontent des méchants à leur portée et se couvrent souvent de ridicule. Il y avait là tout juste de quoi contenter les jeunes lecteurs peu exigeants des illustrés d’après-guerre, et l’on comprend sans peine qu’il ait fallu si longtemps pour que Dupuis se décide à publier ces pitreries en album.


Le décollage : les années Rosy (1955-1968), du n°4 au n°15.








C’est sous la direction de Maurice Rosy, engagé en 1954 aux éditions Dupuis comme « donneur d’idées » (sic) que décolle vraiment la carrière de nos héros. Dans Tif et Tondu contre la Main blanche, ils se trouvent par erreur confrontés à une redoutable organisation internationale de malfaiteurs, et surtout son chef charismatique, le mystérieux « Monsieur Choc » (voir plus loin la rubrique « Amis, ennemis »). Si les péripéties de l’album tiennent encore un peu du bricolage sans grande cohérence, l’ensemble tient en haleine et annonce des lendemains meilleurs. Devenus célèbres, Tif et Tondu n’ont plus de soucis financiers, et seront sollicités pour des problèmes autrement plus palpitants qu’à leurs débuts.


Les histoires prennent ensuite beaucoup plus d’épaisseur, et la présence d’un « Monsieur Choc » aussi machiavélique qu’indestructible va permettre à Will de développer tout son talent. Si la trame générale reste assez classique (du n°4 à Choc au Louvre), se rattachant à la lutte contre un banditisme haut de gamme façon « Fantômas », une pointe de fantastique et de science-fiction apparaît peu à peu, à forte teneur onirique en fin de période. On retiendra particulièrement l’ambiance mystérieuse et inquiétante de La villa du Long Cri (n°8, ou plutôt 9) ou Des flèches de nulle part (n°10), le spectaculaire Réveil de Toar (n°12), et surtout l’extraordinaire Grand Combat (n°13), à mon goût le meilleur album de la période Rosy.


L’inspiration faiblit nettement dès que Choc sort du paysage, que ce soit en cours de période (La poupée ridicule-n°11, histoire d’espionnage assez poussive) ou à la fin des années Rosy, avec la matière verte (n°14) et sa suite Tif rebondit (n°15) Dès lors, il était permis de se demander si nos héros se relèveraient de la disparition (provisoire) de leur meilleur ennemi.


La maturité : les années Tillieux (1968-1978), du n°16 au n°27.


Pendant une dizaine d’années, le scénariste (et par ailleurs dessinateur) Maurice Tillieux, l’une des plus grandes pointures des éditions Dupuis, va réussir l’exploit de faire oublier M. Choc, tout en diversifiant le champ d’investigation de nos héros. Ceux-ci vont enquêter un peu partout, sur des affaires bien différentes où l’on retrouve sans peine la patte de l’auteur de Félix et de Gil Jourdan. Que ce soit le coup monté à teneur fantastique (Tif et Tondu contre le Cobra, les Ressuscités…), la science-fiction (L’ombre sans corps, Sorti des abîmes…), l’expédition archéologique lointaine (Aventure birmane…), ou l’enquête criminelle classique (le scaphandrier mort…), le couple Will-Tillieux mêle les genres avec bonheur. Font un peu tache sur le tableau (à mon goût, toujours) deux albums plus faibles : Tif et Tondu à New York (n°23), histoire assez médiocre de luttes rivales entre gangs, et Les passe-montagnes (n°27). Dans ce dernier cas, un début prometteur laisse place à un dénouement sans grand intérêt, résultat peut-être d’un passage de relais impromptu de Tillieux ( déjà malade, et décédé en cours de réalisation) à Stephen Desberg.


La mutation et la fin : les années Desberg (1979-1989)


Cette ultime décennie de notre étude se caractérise par une mutation assez nette de nos héros et de l’univers dans lequel ils évoluent. Les histoires sont beaucoup plus sombres, violentes, avec une plus grande dose de sexe et de politique… à l’image somme toute des années 1980. M. Choc fait un retour en force à trois reprises (n°32, 33 et 35), donnant du fil à retordre au célèbre duo, confronté également à des menaces d’ordre fantastique (Métamorphoses, Le sanctuaire oublié, Magdalena…) Le ton général est de plus en plus ironique, et le tout explose en beauté dans les opus 37 et 38, par lesquels j’ai choisi de clore ce voyage dans le monde de Tif et Tondu.


Dans cette histoire en deux parties (la seule de toute la collection que nous avons vu jusque là), Will et Desberg se livrent à une sorte de jeu de massacre. Tif et Tondu y passent pour des ringards, dépassés par de nouveaux héros plus jeunes, plus beaux et plus efficaces, caricatures d’eux-mêmes en bellâtres branchés : Phil Harmonic et Paul Ennta. Ruinés par leur avoué, ils connaissent à nouveau les affres de la précarité, vivotant dans un appartement minable, employés dans des jobs déprimants de flic bas de gamme (Tif) ou de journaliste à scandale (Tondu). Le contexte politique de l’époque et de la région où se déroule l’histoire (la Côte d’Azur, où le FN s’installait alors en position de force) inspire aux auteurs une attaque en règle contre un mouvement d’extrême-droite (Les phalanges de Jeanne d’Arc), une police raciste et corrompue, ou une presse qui ne l’est pas moins. Le couple que l’on croyait en béton explose lui aussi à la charnière des deux albums : pour sortir de la misère, Tif accepte de travailler pour le méchant de service, le vénéneux Antonin de Maldague, qui l’achète littéralement, au grand dam de Tondu. Si l’on apprend en fin de compte que tout cela n’était que ruse destinée à tromper l’ennemi, le lecteur ne s’y trompe pas : Will et Desberg sont fatigués, et souhaitent en finir avec leurs héros. Aux deux dernières planches, le « happy end » de rigueur ressemble furieusement à un départ en retraite :


« Chaque fois, déclare Tondu, on se dit qu’on prendrait de belles grandes vacances bien méritées…[suit une évocation de quelques unes de leurs aventures]…je crois qu’il est temps que nous allions cultiver notre jardin… »


Sur la dernière vignette, nos héros partent en voiture sur une route en corniche, avec une affiche en arrière plan indiquant « Le jardin des désirs » (titre d’une autre BD de Will et Desberg) En bas, Will se dessine lui-même à sa table de travail, jetant sa plume et prononçant le mot « FIN ».


Qu’y avait-il de plus à rajouter ?


Constantes et évolution de l’univers de Tif et Tondu.


Si les scénaristes ont changé, et par là-même influé sur les lignes de force de l’épopée tif et tondesque, on peut néanmoins relever des paramètres traduisant le changement et la continuité du monde de Tif et Tondu.


Pays et paysages.


A l’instar de l’autre couple phare des éditions Dupuis, Spirou et Fantasio, Tif et Tondu sont d’authentiques voyageurs. Sur les 38 albums étudiés ici, 22 se déroulent partiellement ou en totalité à l’étranger. Nos héros ont posé le pied dans toutes les grandes régions du Monde (Europe bien sûr, Amérique du Nord et du Sud, Asie orientale, Afrique noire et du Nord, Océanie…) Quelques uns des pays visités sont imaginaires : la Moumagnie (sorte de dictature d’Europe de l’Est) dans Tif rebondit, les archipels de Taura-Atarétéla (n°11) ou de Atuvu-Montoutou (n°21), le Sambaguay (n°7), etc…D’autres sont plus explicitement nommés : la France, les Etats-Unis, le Japon, ou le Brésil. Chose assez fréquente chez les personnages des éditions Dupuis, la patrie des auteurs, la Belgique, n’apparaît presque jamais. Tout au plus y fait-on allusion dans la Villa sans souci et sa misérable affaire de contrebande. Bruxelles et ses environs ne figurent que dans Magdalena. Parmi les grandes villes étrangères de prédilection de Tif et Tondu, on peut citer Londres (cinq albums) et New York (deux albums) La France est à l’honneur, avec Paris (dans sept albums, dont surtout Choc au Louvre), la Bretagne (quatre albums) et surtout la Provence et la Côte d’Azur ( neuf albums).


Les paysages méditerranéens ou tropicaux sont à l’honneur, avec un fréquent contraste de rocaille et d’exubérance végétale. Si nos héros sont à l’aise en ville, les régions désolées et les petites bourgades les attirent invariablement. Les châteaux, restaurés ou en ruines, sont des décors également très présents, le record étant battu dans Un plan démoniaque (n°22), avec pas moins de trois châteaux médiévaux servant de repaires aux méchants, en Allemagne, en France et au Portugal.


Quant à l’habitat de Tif et Tondu, il est des plus confortables : villa moderne avec parc arboré et piscine (autant que leurs moyens le leur permettent). On remarquera que dans le domaine architectural, Will ne s’intéresse pas qu’à l’ancien. Le style « bauhaus » et ses variantes de l’après-guerre (toits à plan incliné, pergola, grandes baies vitrées, etc…) revient de façon constante dans certaines vignettes


Armures, mannequins et automates.


Outre le célèbre casque de M. Choc (voir plus loin), les armures médiévales sont assez fréquentes dans les aventures de Tif et Tondu. Simples éléments de décor dans le retour de Choc, elles deviennent des entités à part entière, sous une forme géante, dans le réveil de Toar et un plan démoniaque. Comme on peut s’y attendre, nos héros peuvent aussi s’y dissimuler et les utiliser à leur profit (les ressuscités)


Mannequins et automates sont des figurants d’un genre un peu spécial, dont M. Choc fait un usage intensif pour échapper ou nuire à ses adversaires, et ce dès l’opus 4. Les automates proprement dits contribuent beaucoup au climat angoissant de La villa du Long Cri, et prennent le rang de vrais personnages, doués de conscience et de sensibilité dans le fantasmagorique Magdalena.


On pourra s’interroger à l’infini sur la présence récurrente de ces personnages ou accessoires particuliers, mais ils constituent certainement l’un des traits marquants de l’œuvre de Will.








Seconde guerre mondiale et nazisme.


Will avait treize ans lorsque l’Allemagne envahit la Belgique, pour la deuxième fois en moins de trente ans. La guerre et l’occupation ne pouvait qu’avoir laissé des traces et influencé sa créativité, comme pour toute une génération. La fascination indéniable exercée par cette période sombre de l’Histoire européenne était –et reste plus que jamais- riche d’inspiration. Beaucoup de BD de l’immédiat après-guerre font pourtant l’impasse sur des évènements trop frais que l’on s’efforce alors d’oublier. Le conflit n’est brièvement évoqué dans Tif et Tondu, pour la première fois, que dans Le retour de Choc, datant de 1955…et encore ne s’agit-il que de mentionner les destructions causées à des chantiers navals.


Il faut attendre encore dix ans et Les flèches de nulle part, pour que la guerre et ses séquelles fassent l’objet d’un scénario complet. L’intrigue met ici en relief les extraordinaires avancées scientifiques des nazis, dissimulées dans une base souterraine du centre de la France et réexploitées par l’inévitable M. Choc (alias Trock). Mais cela tient davantage de la fantaisie James-bondienne que de l’approche historique. Six ans plus tard, dans Sorti des abîmes, c’est à bord d’un Junker 87 « Stuka » sorti d’un musée de l’air britannique que Tondu va tenter d’abattre un monstre gélatineux qui menace de détruire Londres. Cette idée aussi rocambolesque qu’absurde (pourquoi ne pas utiliser un bon vieil obusier, ou un lance-roquette ?) semble avoir été dictée à Will et Tillieux par la seule perspective alléchante de faire à nouveau piquer un Stuka sur la capitale anglaise ! Deux albums plus loin, c’est à l’occasion d’une plongée sous-marine dans le Pacifique que le même Tondu nous fait visiter un champ de matériel américain englouti, vestiges là encore de la dernière guerre.


C’est avec Desberg que le nazisme réapparaît en fanfare, dans l’opus au titre évocateur de Swastika (1983) Les aventures de nos héros sont ici délirantes, mais réjouissantes et pleines d’allusions : aux prises avec Adolf Hitler lui-même, le Docteur M (Mabuse, sans doute) ou de superbes amazones en quête de mâles vigoureux, Tif et Tondu vont remonter la piste de l’élixir de jouvence, puis du trésor de guerre des nazis caché dans un volcan africain !


Indiana Jones peut aller se rhabiller…


Bagnoles et petites pépées.


En vrais machos célibataires, Tif et Tondu ont des centres d’intérêt des plus masculins : les voitures, puis, sur le tard, les femmes.


Les voitures sont l’accessoire indispensable de tout bon héros de BD franco-belge des années héroïques. N’oublions pas que de l’après-guerre aux années 1970, posséder une automobile était aux yeux des jeunes le signe d’une certaine réussite, symbole de progrès et de performance. Avant de virer écolo avec Gaston Lagaffe, Franquin aimait jouer aux petites autos avec Spirou et Fantasio. Tif et Tondu n’échappent pas à la règle. Ils aiment la vitesse, et leur passion pour les sports automobiles éclate dans le n°7 (Plein gaz) où ils participent à une course en Amérique du Sud. A cette occasion, Tondu s’illustre au volant de la « Narval », que l’infâme M. Choc tente vainement de voler. Remerciés par le constructeur, nos héros conduiront pendant quelques albums un véhicule de la marque ( ce qui n’est pas sans rappeler la Turbotraction de Spirou et Fantasio), avant de se rabattre plus prosaïquement sur des véhicules ordinaires, le plus souvent des Citroën, de préférence de couleur rouge. Dans Echec et match, Tif renoue avec le sport automobile, au service du constructeur Verdant dont il pilote un prototype révolutionnaire au grand prix de Monaco.


En ce qui concerne les femmes, il faut attendre la révolution sexuelle des années 1970 pour observer un début d’intérêt de la part de nos héros. Jusqu’au numéro 16 inclus, le « beau sexe » est quasi inexistant, réduit à quelques figurantes du genre matrones, tenancières de bistrot, concierges, mères de familles ou potiches à la silhouette et aux traits peu travaillés. En 1969, dans Tif et Tondu contre le Cobra, apparaît enfin un personnage féminin un peu consistant : Amélie d’Yeu, dite « Kiki » (voir plus loin). Mais celle-ci fera longtemps figure d’exception, et passé un moment de vaine passion, Tif cessera de trouver le moindre intérêt sexuel à celle qui est devenue une amie de plus. Car c’est évidemment lui qui se montrera le premier à manifester quelque intérêt pour les filles, d’abord sous la forme d’une passion amoureuse romantique pour Lina Maia de Cintra (n°22), puis d’une obsession de drague tous azimuts, façon vieux beau guetté par le démon de midi (n°29 et suivants). Tondu, plus réservé, attend le numéro 30 pour faire quelques avances à Kiki, avant de s’éprendre de la belle et dangereuse Gina, complice de M. Choc (n°33 et 35).


D’une manière générale, Will va perfectionner sa représentation des corps féminins au fil des dix derniers albums, leur donnant beaucoup plus de sensualité, avec une nette préférence pour les brunes sportives et bien roulées. Un certain penchant pour l’érotisme chic se manifeste, qui se traduira plus franchement dans d’autres œuvres de Will et Desberg (cf Le jardin des désirs) Psychologiquement parlant, les femmes de cette période ont aussi un caractère beaucoup plus affirmé, alliant souvent le charme, l’intelligence, l’habileté…et la perfidie (voir Janice dans le n°29, ou Gina déjà citée) Nos héros sont souvent bernés, voire mis au tapis, par ces ravissantes créatures.


Le bêtisier de Tif et Tondu.


Les meilleurs auteurs du monde ne peuvent éviter toutes les erreurs, qu’une relecture attentive permet de débusquer. En voici quelques-unes :


-n°7 (Plein gaz) : sans doute un peu ému, le pilote Prunelle confond ses amis : lorsque Tondu prend sa place au volant de la « Narval » pour finir la course, il s’exclame : « Tif a du cran ! » A la fin du même album, Choc (alias Von Müdeschlüssel) est hospitalisé à la suite d’une sortie de route, et bien entendu arrêté. Tif se rend à son chevet et vient faire rapport à Tondu. En toute logique, on devrait enfin savoir qui est vraiment M. Choc. Eh bien non…RAS !


-n°10 (Les flèches de nulle part) : à la fin du récit, Choc tombe à nouveau aux mains de nos héros et des autorités. Voilà enfin l’occasion de rattraper la boulette. Qui est-il, bon sang ? Circulez, y a rien à voir. Cela doit tenir du secret défense…


-n°12 (Le réveil de Toar) : deux mystères importants sont complètement évacués par Will et Rosy : le sort de M. Stein, l’antiquaire enlevé au début de l’histoire ? Nous n’en saurons rien. Les « empreintes d’un autre âge », qui semblaient terroriser le vieil instituteur de Mény-le-Géant ? Le lecteur pourra en déduire que Choc ou l’un de ses sbires s’est amusé à porter des chaussures de chevalier, mais cela restera pure spéculation…


-n°17 (Tif et Tondu contre le Cobra) : comment fait l’homme-serpent qui fouille clandestinement le château d’ Yeu pour pénétrer dans une pièce sans passer par la porte ? Pourquoi laisse-t-il du varech derrière lui ? Pourquoi se déguise-t-il de la sorte alors qu’il ne se sait pas filmé ? Une bête cagoule aurait suffi, non ? Allez, faites chauffer vos méninges...


-n°18 (Le roc maudit) : lorsque l’équipe de relève des gardiens du phare d’Etatel découvre les corps pendus de leurs collègues, une curieuse translation d’identité s’effectue entre la page 12 et la page 14. Crochemain est devenu Jagu, et vice-versa.


-n°29 (Le sanctuaire oublié) : au début de l’histoire, celui qui semble être le chef des méchants apparaît à contre-jour, donnant ses ordres au téléphone…c’est de toute évidence un homme. Plus tard, on apprend que ledit chef n’est autre que la belle Janice, dont la silhouette ne saurait se confondre avec celle entrevue auparavant. Patatras !


-n°30 (Echecs et match) : Tif se vante d’avoir remporté la course panaméricaine relatée dans Plein gaz. Ce n’est pas parce que Prunelle t’a confondu avec ton pote qu’il faut tirer toute la couverture à toi, frimeur !


Amis, ennemis.


Nous ne présenterons ici que les personnages figurant dans plusieurs albums. Leur première apparition sera mentionnée entre parenthèses.


Les amis.


-L’inspecteur Allumette : (n° 5 : Le retour de Choc) petit bonhomme sympathique, cachant sous une apparence fluette un talent certain pour les arts martiaux, l’inspecteur Allumette n’aime guère les armes à feu. Son chat noir Rodolphe, élégant et mystérieux, n’apparaît hélas que dans l’album cité plus haut.


-L’inspecteur Fixchusset : (n°16 : L’Ombre sans corps) rouquin moustachu et flegmatique, tirant sur sa pipe avec humour, c’est le Britannique dans toute sa splendeur.


-La comtesse Amélie d’Yeu, dite « Kiki » : (n° 17 : Tif et Tondu contre le Cobra) première femme à entrer dans la vie de nos deux briscards. Jolie blonde passablement capricieuse, riche à millions, Kiki se comporte à la fois en boulet et en bouée se sauvetage, la deuxième tendance l’emportant plutôt sur la première au fil des albums, émancipation féminine oblige. On le lui connaît aucun fiancé, et ne fréquente Tif et Tondu que par pure amitié.


Les ennemis.


-Monsieur Choc : (n° 4 : Tif et Tondu contre la main blanche) LE grand méchant par excellence, machiavélique et effrayant à souhait. Le plus souvent vêtu d’un smoking et d’un heaume (dont la forme évolue entre le n°4 et le n°5, pour se fixer définitivement), mais ayant volontiers recours à divers masques, maquillages et bandelettes, l’homme est un digne héritier de Fantômas. Toujours élégant, il aime également les fume-cigarettes, accessoire classieux mais surtout pratique pour qui veut fumer en gardant clos son casque médiéval.


Il intervient dans 12 albums sur les 38 étudiés (sans compter une apparition dans un cauchemar de Tif, dans le n°30), et ce en deux périodes :


-du n°4 au n° 13 (hormis le n°11).


-du n°32 au n° 35 (hormis le n°34).


Dirigeant l’organisation criminelle internationale de « la Main blanche », Choc agit le plus souvent avec l’aide de complices de plus faible envergure, qu’il n’a aucun scrupule à laisser tomber lorsque les choses tournent mal, ou pour garder la plus grosse part du butin. Il se plaint souvent de la nullité de ses sbires, mais n’agit seul que dans Les flèches de nulle part, où son identité n’apparaît qu’à la fin. Identité, le mot est lâché … qui est donc M. Choc ?


Nous avons vu précédemment que le bougre a été démasqué à au moins deux reprises, mais sans aucune conséquence pour lui. Les auteurs continueront donc à faire marner le lecteur, lui jouant parfois de mauvaises blagues, comme dans ce court récit en deux planches parues dans Spirou en 1976 (n°2001), intitulé « l’image de Choc ». On l’y découvre enfin tête nue, et même tout nu, puisqu’il s’agit d’une photo de bébé !


Criminel de haut vol, Choc agit pour l’argent, mais envisage aussi la domination politique, employant pour cela toutes les ressources de la technologie moderne et même ancienne (le géant Toar ou le savoir occulte des lamas Tibétains). Dans le grand combat, sa capacité à pénétrer et influencer les rêves des autres lui permet de soumettre le gouvernement français. Bien plus tard (Choc 235), c’est carrément à la domination du Monde qu’il prétend, en planifiant une guerre planétaire depuis une petite île dont il est le maître absolu.


Comme nos héros, c’est en fin de carrière que Choc s’intéresse aux femmes : on peut citer la redoutable Jade (Traitement de Choc) ou la perfide Gina, avec laquelle il ne fait pas que parler boulot.


Choc disparaît pour la dernière fois dans l’explosion de son canot à moteur (n°35 : dans les griffes de la Main blanche), ce qui ne convainc guère, tant ce génie du Mal excelle à échapper aux coups les plus durs. Pourtant, c’est bien dans cet opus qu’il termine sa carrière : poursuivi par la vindicte d’une coalition mafieuse, réfugié au fin fond de la jungle asiatique dans une « cité des voleurs » caricaturale, Choc n’est plus qu’un vieux méchant fatigué et « has been ». A l’instar encore une fois de ses vieux ennemis, pour lesquels il éprouvait de l’estime, Choc appartient à une époque révolue, où la grande classe primait sur l’intérêt le plus sordide.


-Gina Felicita : (n°33 : Choc 235) jolie brune aux yeux bleus, originaire de Milan, se présente d’abord comme une étudiante aux pouvoirs médiumniques. En fait complice et maîtresse de Choc, elle va rouler nos héros dans la farine. Tondu, qui en pince pour elle malgré tout, fera tout pour la retrouver et l’utilisera afin de retrouver la piste du maléfique bonhomme. Après le numéro 35, la belle milanaise disparaît du paysage.


Conclusion : à nos chers disparus…


Même si leur épopée s’est officiellement éteinte, Tif et Tondu continuent à vivre dans les pages des vieux albums des collectionneurs, ou celles des rééditions de ces « intégrales » qui perpétuent la mémoire des vétérans de la BD. Les retrouver au mieux de leur forme, ou doutant d’eux-mêmes sur leurs vieux jours, reste un plaisir pour l’amateur éclairé. A vous, messieurs Tif, Tondu et Choc, à vos papas si talentueux, je resterai éternellement redevable de bien des bons moments. Merci, les gars…

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