Dimanche 14 août 2016
Après le Pacte germano-soviétique,
le Pacte turco-russe ?
C’est un moment
historique peut-être essentiel qui est passé à la trappe de nos grands médias,
à la faveur des Jeux Olympiques de Rio et des polémiques post-attentats (faut-il
annuler les festivals ? Equiper la police de lance-roquettes ? Faire
passer aux jeunes des « tests de radicalisation » ? Pendre tous
les musulmans par les pieds ? Ou tout bêtement se convertir à l’Islam pour
mettre fin à tout ça ?)
La rencontre
Erdogan/Poutine qui a eu lieu à Saint-Pétersbourg début août me paraît pourtant
digne d’être commentée un peu plus largement qu’elle n’a pu l’être, généralement
en pages intérieures de quelques grands journaux.
Il est frappant
d’abord de constater la similitude de cet évènement avec celui survenu il y a
77 ans, à la fin d’un autre mois d’août lourd de menace. Petit rappel
historique : le 23 août 1939 étaient signés à Moscou les accords
Molotov-Ribbentrop, rebaptisés aussitôt « Pacte germano-soviétique ».
L’Allemagne nazie et l’Union soviétique, deux régimes totalitaires qui se
vomissaient par propagandes interposées, concluaient un arrangement stratégique
sur le dos des petits pays d’Europe orientale, au nez et à la barbe des « démocraties
occidentales » sidérées. Les mains libres à l’Est, Hitler pouvait prendre
le risque d’envahir la Pologne sans risquer une guerre sur deux fronts.
Staline, lui, gagnait du temps pour réorganiser son armée déstabilisée par les
purges et redonnait à la Russie le glacis de protection territorial perdu entre
1917 et 1921.
La spectaculaire
réconciliation turco-russe survient elle aussi après une longue période d’hostilité :
rivalité séculaire des empires russe et ottoman, engagements opposés dans le
conflit syrien, comme l’Allemagne et l’URSS dans la guerre civile espagnole de
1936-39, avec des pertes de part et d’autre.
Elle rapproche
également, comme les commentateurs ne se sont pas privés de le faire, deux
dirigeants et régimes politiques de même nature (ici autoritaires, et non totalitaires
comme en 1939), faisant l’objet de sentiments ambivalents à l’étranger, entre
fascination et répulsion.
Elle met
également en évidence la nullité diplomatique des dirigeants ouest-européens,
notamment français. En 1938, la France se soumettait à sa « gouvernante
anglaise » et signait les lâches accords de Munich, abandonnant son alliée
tchèque à l’appétit d’Hitler. Elle refusait également de soutenir la République
espagnole, il est vrai de plus en plus inféodée à Moscou et bien moins
reluisante qu’on ne le dit souvent, par peur de déclencher une nouvelle guerre
européenne. Entre 2011 et 2015, la France, collée aux Etats-Unis et à ses clients
du Golfe persique, a soutenu les islamistes en Syrie contre un Bachar El-Assad
aidé par Poutine. La France et l’Union européenne a sanctionné la Russie pour l’affaire
ukrainienne et conclu avec la Turquie le scandaleux arrangement que l’on sait,
concernant les réfugiés syriens.
Tout ceci
faisait l’affaire des Etats-Unis, mais certainement pas des Européens, tout
comme les multiples arrangements entre l’Allemagne nazie et la Grande-Bretagne (depuis
les accords navals de 1935) servaient en apparence les intérêts britanniques.
La France à l’époque, et plus encore aujourd’hui, empêtrée qu’elle est dans ses
obligations otanesques et sa soumission idéologique, a mis de côté toute pensée
stratégique autonome et de bon sens.
Erdogan, que l’on
peut considérer comme le nouvel Hitler en puissance du Proche-Orient (n’a t-il
pas lui- même fait l’éloge du Führer ?), ne peut pas se payer le luxe d’un
conflit ouvert avec la Russie, qui a déjà de lourdes conséquences économiques.
Il pourra ainsi plus commodément liquider ses opposants de l’intérieur, mater
les Kurdes, et faire en sorte qu’un régime pas trop dangereux se mette en place
en Syrie, où il a joué les apprentis-sorciers.
Poutine,
lui-même en difficulté économique, pourra compter sur la Turquie pour
contourner l’embargo européen et stabiliser son flanc sud, tout en se
désengageant à terme de Syrie, quand le ménage sera à peu près fait, ou
laissant ces crétins d’Occidentaux se dépêtrer du bourbier. En digne héritier
de Staline, le Tsar du XXI e siècle est un adepte de la « realpolitik »,
soucieux avant tout des intérêts de son pays en tant que puissance.
Ces accords
tiendront-ils longtemps ? Difficile à dire. Le Pacte germano-soviétique a
tenu bon jusqu’en juin 1941, lorsqu’Hitler l’a rompu pour réaliser ses démentiels
objectifs à l’Est. Qu’en sera-t-il cette fois-ci ?
En attendant, on
peut faire la liste des dindons de la farce : après les Tchèques, les
Polonais et autres peuples d’Europe de l’Est, voici les Kurdes, les Chrétiens d’Orient
et autres minorités en péril. Et bien entendu, toujours aussi molles, les « démocraties
occidentales » d’Europe, qui ont préféré le déshonneur à la guerre, et qui
se retrouvent avec les deux à la fois.
Mais chut,
taisez-vous, c’est l’été, et il y a les JO ! Et peut-être un djihadiste
caché sous votre canapé ?
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