mardi 5 juillet 2016
Rocky is dead.
Il ne s’agit pas
du personnage incarné par Stallone, mais de notre Rocky national, Michel
Rocard, décédé samedi dernier. « Mort
d’un géant », a titré sans faiblir le Journal du Dimanche, tandis que
presque toute la classe dominante faisait assaut d’hommages et de discours
peinés, à commencer par Manuel Valls, dont Rocard fut le mentor. Un hommage
national présidé par Hollande lui sera rendu jeudi, avant la dispersion des
cendres en Corse.
J’avoue que la
mort de Stallone m’aurait fait plus de peine, mais celle de l’ancien maire de
Conflans Sainte Honorine ne me laisse pas indifférent. Lors de mon bref
passage chez les jeunes socialistes,
entre 1984 et 1986, Rocard incarnait la fameuse tendance réformiste si porteuse
d’espoir au sein d’un PS déboussolé par le virage libéral de 1983 et lourdement
sanctionné par les électeurs pour les espoirs déçus du « changement »
mitterrandien.
J’hésitais alors
entre les trois courants qui se partageaient le parti :
-les
Mauroyistes, la vieille garde attachée à l’alliance avec le PCF ?
Idéologiquement, le jeune béotien que j’étais, facilement conditionnable par les
sirènes de la « modernité » en vogue à l’époque –et qui ont depuis
pris le pouvoir- ne pouvait suivre cette tendance jugée ringarde.
-les Rocardiens ?
Mais qu’était-ce au juste que le rocardisme ? Dans ma fédération de la
Sarthe, les rocardiens étaient représentés par des anciens du PSU, pour les
plus vieux, et des transfuges du trotskysme, pour les plus jeunes. J’avais du
mal à comprendre ce qu’ils étaient, ce qu’ils voulaient : internationalisme,
tiers-mondisme, autogestion, tout cela évoquait une forme de gauchisme qui se
voulait « réaliste », car renonçant à combattre la loi du marché.
Mais plus concrètement, sur le terrain, nos braves réformateurs étaient surtout
occupés à un putsch destiné à virer les leaders mitterrandistes, dont faisait
partie mon « chef », qui m’avait attiré au MJS. Ils avaient à l’époque
essayé de me rallier, mais ma fidélité à celui qui était un ami avant d’être un
camarade était la plus forte. Depuis, ledit camarade a poursuivi sa carrière
locale, et j’en suis fort heureux pour lui.
-restaient les
Mitterrandistes, adeptes de la synthèse et du compromis entre les divers
courants. Pas très emballant pour un jeune plein de fougue, pour qui l’épopée
de Tonton relevait largement des « vieux de la vieille ». Mais au plus
profond de moi, sans que j’en sois toujours conscient, tout me portait à opter
pour cette dernière tendance, celle du moindre mal.
Le fond
idéologique du rocardisme me laissait perplexe, et les pratiques politiciennes
de ses adeptes ont largement contribué à me dégoûter du militantisme.
Trente ans plus tard, quel bilan
en tirer ?
D’abord,
reconnaissons à Rocard lui-même un certain mérite : l’honnêteté
personnelle –une vertu rare en politique- et le franc parler. Le chemin de
croix que fut sa carrière ne peut également que susciter la sympathie dans un
pays où l' on aime les perdants : martyr de Mitterrand, écarté des instances
dirigeantes du PS, le bonhomme a pris une retraite anticipée qui a fait de lui
une sorte de « Maître Yoda » de la vie politique. Momifié vivant, s’exprimant
dans un jargon et un phrasé parfois difficiles à suivre, il était devenu un
électron libre, quoique récupérable lorsque les ans l’eurent suffisamment
fragilisé. Le cynique Sarkozy en fit même une prise de guerre après 2007, en le
nommant à ce poste ridicule d’ « ambassadeur pour l’Antarctique ».
Mais jusqu’au bout, Rocky garda une certaine lucidité et un jugement affûté sur
les choses et les gens. Ses derniers commentaires, en faveur du Brexit, pour
enfin reconstruire une « autre Europe », ne pouvaient que recueillir
mon approbation.
Néanmoins, Rocard fut aussi le
symbole de cette mutation catastrophique d’une partie de la gauche, en rupture
avec le peuple réel, ralliée au libéral-libertarisme, soumise à la loi du
marché, hostile à l’Etat et à la Nation, communautariste, régionaliste à tout
crin. Le Tiers-mondisme d’hier se transformant en « immigrationnisme »,
l’internationalisme en européisme et mondialisme « hors-sol », sinon
celui des identités régionales destinées à faire éclater les vieux
Etats-nations comme le nôtre.
L’homme n’a
jamais pris le pouvoir, mais ses idées ont contaminé l’establishment de gauche
comme de droite. Le rocardisme, au fond, était un anti-gaullisme, et le moins
que l’on puisse dire et qu’il a fait beaucoup de mal.
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